Le 6 août 2004 Télécopieur : 418-643-3924
Lhonorable Jean J. Charest
Premier ministre
Gouvernement du Québec
885 Grande-Allée est
3 étage ième
Québec, (QC)
G1A 1A2
Cher M. Charest,
Je vous écris ainsi quà vos collègues premiers ministres en ce moment où vous
vous apprêtez à participer à une conférence sur le système de santé canadien qui
est extrêmement importante pour les travailleurs et les travailleuses du Canada.
Vient un temps dans lhistoire dun pays où il est de la plus haute importance du
point de vue du bien-être futur de sa population que ses chefs politiques soient
fermes mais réceptifs. Le Congrès du travail du Canada croit que leffort que vous
êtes sur le point dentreprendre pour assurer la durabilité de lassurance-maladie
publique est lun de ces moments. La population du Canada doit avoir lassurance
que ses gouvernements ont pour engagement de garantir lavenir de lassurancemaladie
dune manière qui témoigne de ses valeurs et de sa vision. La prochaine
réunion des premiers ministres sera une occasion daffirmer cet engagement.
Le débat actuel est axé sur trois principales questions : la durabilité financière du
système, lexpansion du système pour quil réponde à des besoins en services de
santé auxquels il ne satisfait pas actuellement afin dassurer la durabilité de la
qualité de lassurance-maladie, et le freinage de la prestation commerciale de
services de santé à financement public.
Ce sont bien de grandes questions, mais il nest nullement impossible de les
régler. Il faut procéder à une discussion ouverte, transparente et ne déformant
pas les faits pour que les hommes et femmes politiques et le public comprennent
bien les enjeux. Il faut également quexiste la volonté politique de relever les défis
par des mesures concrètes. Voilà dimportants objectifs à atteindre pendant la
réunion des premiers ministres qui aura lieu en septembre 2004.
Le Congrès du travail du Canada est daccord avec la Commission Romanow.
Notre système de santé est aussi durable que nous voulons quil le soit. Bien que
les dépenses de santé augmentent plus rapidement que les revenus des
gouvernements et consomment une part grandissante des budgets de santé
provinciaux, le Canada a encore la capacité de financer lassurance-maladie
publique.
LOrganisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a publié
dernièrement ses données les plus récentes sur ses pays membres. La part de la
richesse économique (PIB) pour laquelle comptent les dépenses de santé a
augmenté dans 29 des 30 pays membres de lOCDE.
Toutefois, le Canada sest classé au dernier rang, plutôt quau premier, pour ce
qui est de la croissance des dépenses de santé. De 1990 à 2001, les dépenses de
santé par habitant ou habitante ont augmenté plus rapidement quau Canada
dans vingt et un des pays en question. Ces dépenses ont augmenté de 3,4% par
année en moyenne au sein des pays membres de lOCDE alors quelles nont
augmenté que de 2,3% au Canada. La part du PIB que représentent les dépenses
de santé au Canada nest passée de 9,0% quà 9,7%.
Ces données comprennent les dépenses publiques et privées. Si lon ne regarde
que les dépenses publiques, la durabilité de nos dépenses de santé est encore
plus claire. La part du PIB que représentent les dépenses de santé publiques a
augmenté dans vingt-quatre pays membres de lOCDE sur trente mais non au
Canada. Elle était de 6,7% en 1990 et de 6,7% en 2002. Cela indique non
seulement que le système est durable mais aussi que les dépenses de santé ne
priveront pas dautres activités de fonds.
La durabilité financière des dépenses de santé a été confirmée par une étude du
ministère des Finances qui a indiqué que les dépenses publiques de santé seront
encore durables en 2040, même si la demande de soins des membres de la
génération du baby-boom sera la plus forte à ce moment-là, et que ces dépenses
ne compteront alors que pour moins de 10% par année de notre richesse
nationale.
Linquiétude exprimée par certaines personnes parce que les dépenses de santé
constituent une part sans cesse grandissante des budgets provinciaux tient à trois
facteurs. Laugmentation des coûts de santé est indéniablement un facteur, et la
hausse des prix des médicaments y est pour beaucoup. Mais deux autres facteurs
masquent la vraie nature de la question.
Les gouvernements provinciaux ont réduit à bien des reprises les dépenses
associées à dautres programmes. Les compressions ont suffit à elles seules à
accroître le pourcentage du budget provincial affecté aux soins de santé.
Le troisième facteur est le choix politique fait par certains gouvernements de
réduire les impôts sur les sociétés et sur le revenu des particuliers. Cest ce choix,
et non les dépenses de santé, qui a été le plus coûteux depuis une décennie. La
réduction des impôts réduit les recettes publiques, de telle sorte quil y a moins de
fonds à affecter à tous les programmes. Au total, les gouvernements des deux
paliers ont vu diminuer leurs recettes de près de 250 milliards de dollars depuis
sept ans. Si ces fonds étaient demeurés dans les trésors publics, la part des
recettes publiques que représentent les dépenses de santé serait beaucoup plus
faible, et il serait presque impossible de soutenir que lassurance-maladie nest
pas durable.
Il faut tenir compte des choix politiques dans le débat en cours. La population
canadienne a indiqué clairement quelle renoncerait aux réductions dimpôt pour
rendre lassurance-maladie publique durable.
En qualifiant lassurance-maladie de non durable, les gouvernements ont
encouragé les personnes qui préconisaient la prestation de soins de santé dans un
but lucratif et celles qui ont un intérêt financier dans celle-ci. Pour arriver à cette
fin, il faut faire croire que lassurance-maladie publique est au bord de la faillite.
Le mouvement syndical incite les premiers ministres provinciaux et le premier
ministre du Canada à ne pas sy hasarder. La Commission Romanow a demandé
des preuves fondées sur des recherches concluantes selon lesquelles la prestation
commerciale de soins de santé améliorerait et renforcerait le système de santé
public. La Commission na pas reçu pareilles preuves. Si ces preuves avaient
existé, elles auraient certainement été présentées à la Commission. Toutes les
preuves portent plutôt à réfuter les affirmations des partisans des soins de santé à
but lucratif.
De très nombreuses études ont indiqué que la prestation de soins à but lucratif
accroît considérablement le total des coûts de santé. Une récente étude du
département de médecine de la Cambridge Hospital/Harvard Medical School a
révélé que les frais des établissements à but lucratif peuvent dépasser de 19%
ceux des établissements sans but lucratif. De plus, nous disposons dabondants
résultats de recherche selon lesquels les établissements de santé appartenant à
des investisseurs aux États-Unis, comme par exemple les hôpitaux, les cliniques
de dialyse et de réadaptation, les foyers de soins infirmiers et les hospices,
fournissent des soins de qualité et de quantité inférieures à ceux des
établissements sans but lucratif. Dautres recherches prouvent que la création
dun système parallèle de soins de santé à but lucratif allonge les temps dattente
dans le système public plutôt que de les raccourcir.
Les résultats des recherches en question, impeccablement menées et jugées par
les pairs, ne peuvent plus être traités comme sil nexistaient pas au cours du
débat. En fait, ces résultats de recherche devraient mettre fin au débat.
Les établissements de soins de santé à but lucratif appartenant à des
investisseurs sont incompatibles avec les valeurs de la population canadienne qui
sous-tendent le système de santé public, et particulièrement la valeur de léquité
daccès aux soins de santé. Le mouvement syndical croit que certains services
importent trop du point de vue du bien-être public pour être fournis selon les
règles du marché. Les soins de santé, qui constituent un bien public, comptent
parmi ces services. Les soins de santé et les patients et patientes ne constituent
tout simplement pas des marchandises. Le CTC croit que les fonds publics doivent
servir à fournir des soins aux patients et patientes plutôt quà assurer des profits,
ce qui nécessite la prestations des soins par le secteur public dans un but non
lucratif.
Il y a lieu de signaler que toute expérience de prestation de soins de santé
commerciaux a des effets irréversibles selon les règles des accords sur le
commerce et linvestissement. Dans toute province qui a commencé à fournir des
services par un recours important à des entreprises à but lucratif, tout
gouvernement futur constatera quil doit dédommager des investisseurs
américains pour rétablir la prestation des soins par le secteur public ou faire face
à une poursuite très dispendieuse intentée en vertu du chapitre 11 de lAccord de
libre-échange nord-américain.
En outre, la durabilité tient à la mesure dans laquelle le système de santé public
peut répondre aux besoins en soins de santé des Canadiens et Canadiennes. Les
défis sont nombreux : combler la pénurie de professionnels de la santé, assurer
un accès équitable aux soins de santé en milieu rural, dans le Nord et dans les
communautés autochtones, réduire les temps dattente excessifs et élargir
léventail des services assujettis à lassurance publique pour quil comprenne les
soins à domicile, palliatifs et de longue durée ainsi que les médicaments sur
ordonnance. Il est dune importance critique que les traitements médicaux et les
test de diagnostic relèvent du système public, pourvu que lévaluation de leur
efficacité justifie leur utilisation.
Ces défis importants exigent que laugmentation du financement soit liée au
changement afin que linvestissement de fonds publics permette datteindre le
résultat souhaité de stabiliser et délargir le système de santé public. Cela englobe
létablissement de normes en vue de lexpansion des services de santé assujettis à
lassurance-maladie, le freinage de la hausse des prix des médicaments, la
prestation dun financement fédéral accru et stable et la mise en oeuvre des
principes et conditions de la Loi canadienne sur la santé.
Le mouvement syndical canadien préconise la création dun programme national
dassurance-médicaments. Les syndicats ont donné le pas en revendiquant une
assurance sur les médicaments au nom de leurs membres actifs et retraités. Nous
croyons que les gouvernements des deux paliers ainsi que les employeurs et les
travailleurs et travailleuses ont les moyens détablir un programme assurant les
prestations nécessaires aux Canadiens et Canadiennes. Nous sommes ravis
davoir loccasion de participer à la recherche de la meilleure solution à cette fin
très valable.
Les Canadiens et les Canadiennes ont indiqué très clairement quils veulent que
leur système de santé soit réceptif, global et de qualité. Ils veulent également que
les chefs politiques dont dépend lintégrité de lassurance-maladie publique
agissent de manière transparente et rendent des comptes. Louverture de votre
réunion est un important pas dans cette direction.
Vous savez à quel point la population canadienne tient à lassurance-maladie
publique et vous connaissez les valeurs sur lesquelles repose son engagement. La
Commission Romanow a cerné ces valeurs après son dialogue avec le public
canadien : équité et solidarité. Cest principalement en raison de ces valeurs que
la population canadienne considère laccès aux soins de santé en temps opportun
fondé uniquement sur le besoin comme un droit de citoyenneté au Canada. Ces
valeurs sont aussi la principale raison pour laquelle les Canadiens et les
Canadiennes rejettent les solutions consistant à utiliser des fonds publics pour
financer la prestation commerciale de services de santé à but lucratif.
Au nom du Congrès du travail du Canada, je vous souhaite tout le succès possible
dans la conclusion dune entente qui ouvre la voie au maintien de lassurancemaladie
publique.
Agréez lexpression de mes sentiments les meilleurs.
Le président,
Kenneth V. Georgetti
cc: U. Dosanjh
Conseil exécutif du CTC
Personnel du CTC